On voit ici une jeune
fille à genoux ; le visage
caché dans le giron d'une matrone, elle tourne le dos
au dévoilement
du van et semble
indifférente aux deux
figures féminines
que l'on voit à ses côtés : l'une, habillée
d'un ample vêtement de couleur violette tient un thyrse , l'autre, presque nue, joue
des cymbales , comme la
ménade que l'on voit sur un sarcophage
dionysiaque conservé au Louvre.
Selon Paul Veyne, il faut interpréter
cette scène comme une polissonnerie mi-érotique
mi-initiatique. De l'effroi de la jeune fille devant la défloration,
le peintre aurait fait une scène plaisante : réfugiée
dans les bras de sa nourrice, la mariée détourne
les yeux d'un objet qu'elle désire peut-être en
secret ; car les jeunes filles de bonne famille devaient faire
mine d'ignorer la sexualité alors même que la mise
en spectacle du phallus était omniprésente en Grèce
et à Rome ; porté en procession au cours des "phallophories",
le phallus était solennellement honoré et les personnages
ithyphalliques s'exhibaient sans vergogne dans les jardins, dont
ils assuraient la fécondité, sur les
murs de la ville pour conjurer
le mauvais oeil, aux portes
des maisons pour éloigner
les envieux et sur maints objets de la vie quotidienne : lampes
à huile , poids, amulettes
etc. ; il n'est pas jusqu'aux sarcophages qu'ils n'aient envahis de
leur présence obsédante ! Mais les jeunes filles
devaient se cacher les yeux quand elles rencontraient un Priape
ou un satyre ithyphallique sur leur chemin. Même si quelque
appréhension se mêle à sa pudeur, la jeune
mariée témoignerait donc ici de sa bonne éducation
et de sa pureté avant l'initiation nuptiale, la seule
qu'ait véritablement évoquée le peintre
à travers le lieu commun dionysiaque. Après les
festivités du mariage, après les chants et les
danses qu'évoquent ici les
deux ménades ,
la porte des époux sera condamnée aux regards indiscrets
par la
démone ailée et
la révélation du sexe aura lieu dans le secret
de la chambre conjugale...
Malgré la quasi-nudité
de la jeune fille agenouillée, où Paul Veyne croit
trouver un argument de poids contre la thèse initiatique,
Gilles Sauron persiste et signe : cette jeune femme est la Domina
qui assiste, comme initiée au dévoilement
du van ; et ce n'est
là qu'un premier épisode de l'initiation qui se
poursuit dans la scène suivante ; aux côtés
de la jeune femme agenouillée, figurent en effet une
ménade et une prêtresse de Dionysos
dont le thyrse est privé du pampre, du lierre et de la
bandelette habituels. Or la ménade et le thyrse incomplet
font sens. Selon Pierre Boyancé, Sémélé
était en effet considérée comme la première
ménade car, enceinte de Dionysos, elle avait été
la première femme à être au sens propre du
terme "possédée" par le Dieu.
Le rite auquel aurait participé la domina consistait à
appliquer un thyrse incomplet sur le flanc de la myste et devait
identifier celle-ci à Sémélé enceinte
du Dieu de la "mania", de la folie sacrée.
La substitution de la ménade
nue et dansant au son des cymbales à la représentation
réaliste de la Domina fait de celle-ci, selon les conventions
iconographiques du temps, une nouvelle Sémélé,
dont elle assume, à son tour, la grossesse mystique et/ou
charnelle avant de connaître son apothéose. |