On l'appelle la Villa
des Mystères. Pour beaucoup, en effet, la grande fresque du triclinium ou de l'antichambre,
peinte vers 70-60 av. J.-C, représente l'initiation au
culte de Dionysos. Ainsi, il ne fait pas de doute pour Gilles
Sauron que la "domina", la propriétaire
de la maison, ait été l'adepte, voire la prêtresse,
d'un groupement religieux voué à la célébration
de mystères dionysiaques.
Située à l'écart
de la ville, au bout de l'allée
des tombes , cette élégante
villa installée sur une terrasse
artificielle bordée sur trois côtés par un
"cryptoportique " , aurait été
propice à ce culte secret. Consacrée au vignoble,
comme en témoigne son magnifique pressoir , la propriété,
devenue exploitation agricole après le tremblement de
terre de 62 ap. J.C.,
aurait célébré le culte
dyonisiaque à l'ombre de sa superbe véranda .
Il est vrai que tout atteste le
succès des mystères dionysiaques en Italie : d'abord,
le contexte culturel du monde méditerranéen, dominé
par la civilisation grecque : selon Pierre Grimal, "à
l'époque romaine, et dès le second siècle
avant notre ère, les Mystères de Dionysos,
avec leur licence et leur caractère orgiastique, pénétrèrent
en Italie où ils trouvèrent une terre d'élection,
parmi les populations encore peu civilisées des montagnes
d'Italie méridionale et centrale" ; ensuite,
la fameuse affaire des Bacchanales, en 186 av. J.-C.,
qui conduisit le
Sénat à interdire
la célébration de ce culte considéré
comme une menace pour Rome (bien des ennemis de Rome se prétendant
de "nouveaux Dionysos") ; enfin l'enracinement
du dionysisme à Rome même, comme en témoigne
le décor de la villa de la Farnésine.
Or, lorsque fut peinte la grande
fresque de La Villa des Mystères, Pompéi était
une colonie
romaine depuis une vingtaine d'années.
Cicéron, consul en 63 av. J.-C., y possédait une
propriété et la cité, fondée par
les Osques, soumise par les Samnites, était fortement
romanisée. L'engouement de l'aristocratie romaine pour
les cultes dionysiaques ne pouvait manquer de raviver les anciennes
accointances de Pompéi avec le
monde grec . D'autres
représentations, comme le décor de la villa dite
"de P. Fannius Synistor" à Boscoreale,
les miniatures
dionysiaques ou encore
les bas reliefs du sarcophage que l'on peut voir au Musée
de Naples attestent d'ailleurs la présence du dionysisme
en Campanie et à Pompéi.
Cette interprétation, aujourd'hui
défendue avec brio par Gilles Sauron dans La grande fresque
de La Villa des Mystères à Pompéi , est fortement contestée par Paul
Veyne qui ne voit dans la fresque qu'un banal "pastos",
une peinture matrimoniale déclinant tous les lieux communs
dionysiaques de l'iconographie conventionnelle. Pour l'auteur
des Mystères du Gynécée ,
la fresque représente simplement les préparatifs
très prosaïques d'un riche mariage et les festivités
qui l'accompagnent.
Mais Dionysos, selon le
mythe , est aussi le dieu de l'ivresse
et du délire et l'on peut se demander s'il n'égare
pas tous ceux qui se hasardent à interpréter la
grande fresque du triclinium. Après Gilles Sauron, Paul
Veyne et tant d'autres, je voudrais à mon tour me risquer
dans ce délire bacchique et apporter quelques éclairages
sur ce mystère iconographique. |