 © Photo Patricia
Carles |
Les personnages figurés dans
cette mégalographie sont représentés hors
de leur contexte, un peu comme des statues disposées dans
une galerie. Au spectateur de reconstituer le contexte propre
à chaque figure. Il ne s'agit ni d'une frise continue
faisant se succéder de gauche à droite les scènes
relatant une même action présentée dans un
ordre chronologique ni de scènes contemporaines soumises
à l'unité de temps et de lieu. La convention utilisée
ici est celle de la "narration continue" : sur
chacune des deux frises parallèles se déroulent
des scènes qui se passent en des temps
et en des lieux différents , où les satyres et les dieux se
mêlent aux mortels. En général, le premier
personnage de la scène qui suit se superpose partiellement
au dernier personnage de la scène qui précède,
ces deux figures regardant dans deux directions opposées,
comme on le voit ici : le pied de la jeune servante qui porte
un plateau recouvre partiellement celui de la jeune femme qui tient un rouleau de papyrus
; ailleurs, un silène cache à demi la jeune femme qui
verse de l'eau sur un rameau.
Le mélange du monde sacré
et du monde profane, l'absence de toute démarcation claire
entre les différentes scènes, les jeux d'échos
qui se tissent d'une paroi à l'autre autorisent tous les
découpages et, partant, des interprétations diververgentes.
Deux livres récents en témoignent, le sens de la
fresque ne se livre pas de manière univoque : ou bien
cette fresque monumentale représente "un monde
à souhait" et promet à la jeune épousée
un avenir plein de prospérité et de félicité,
c'est la thèse de Paul Veyne ; ou bien c'est un ensemble
d'"images de mémoire" représentant
allégoriquement la vie de la maîtresse de maison,
c'est la thèse de Gilles Sauron. Dans ce cas, elle a pu
être réalisée avant ou après la mort
de la Domina. En parodiant ce genre de pratique dans le Satiricon,
Pétrone nous montre en effet qu'elle était
sans doute courante chez les riches et chez les parvenus : Trimalcion
fait peindre les étapes de sa vie dans son atrium avec,
à chaque fois, la représentation des dieux qui
l'ont protégé et des inscriptions précisant
la nature de la scène. La Domina, qui n'a pas le mauvais
goût de l'affranchi de Pétrone, s'est dispensée
de ces légendes ridicules mais il est possible qu'elle
ait voulu, elle aussi, représenter une histoire mystique
de sa vie et qu'elle l'ait conçue comme une sorte d'incantation
picturale à Dionysos. |