Quelle est donc cette femme à
la pose élégante qui orne le mur ouest de la pièce
? La mariée attendant son époux, comme le pensent
certains ? Non sans doute, car son attitude de matrone sûre
d'elle-même ne convient guère à une jeune
mariée dont la décence voudrait qu'elle soit assise
sur le lit, la tête penchée et le voile ramené
sur les yeux, comme on le voit dans une céramique conservée
au Louvre . Il
s'agit plus probablement, selon Paul Veyne, de la mère
de la mariée qui, "en reine du gynécée",
observe ses deux enfants, le
jeune garçon en train d'étudier ,
la
jeune fille occupée à sa parure .
Elle est d'ailleurs assise sur un fauteuil vu en perspective
oblique et non pas sur un lit dont on ne verrait qu'une partie
: on distingue en effet nettement les deux accoudoirs du fauteuil
: le droit, sur lequel elle s'appuie, est garni d'un coussin,
le gauche sert de support à la
tablette du contrat de mariage .
Cette tablette, qui tient debout contre toute vraisemblance,
est un emblème matrimonial plus qu'un objet réel,
c'est un symbole conventionnel que l'on retrouve dans Les
Noces Aldobrandines. La scène aurait donc valeur de
bon augure : à cette place même, la jeune fille
qui se prépare à l'hymen verra à son tour
sa fille et son fils honorer la lignée, l'un par les lettres,
l'autre par un beau mariage...
Une telle interprétation
de la scène ne convient pas à Gilles Sauron. Selon
lui, on verrait ici la maîtresse de maison, vêtue
d'un habit rituel, contempler, en face d'elle, la mère
de Dionysos. Les couleurs de son manteau - pourpre et safran
-, sont en effet associées au culte dionysiaque : on les
retrouve dans le dévoilement du van
mystique (sur le vêtement
de la prêtresse) et dans la
scène de purification du rameau
(sur le voile recouvrant le siège, sur le manteau d'une
prêtresse, sur le voile de la ciste ).
L'attitude même de la Domina,
qui s'apparente aux figures féminines de l'iconographie
funéraire de l'Athènes classique, confirmerait
cette lecture mystique de la fresque ; quant à l'objet
de bois où
Paul Veyne voit les tablettes du contrat matrimonial, ce serait
le couvercle d'un
coffret de bois ouvert
dont un morceau de tissu vert dissimule le contenu ; ce serait
donc, comme le van et la ciste (eux aussi voilés), un
objet sacré dont le dévoilement est interdit aux
non-initiés. Rapprochant ce coffret de ceux que représentent
certaines stèles funéraires, Gilles Sauron affirme
qu'il contient un "livre
de l'au-delà"
appartenant à la tradition orphico-dionysiaque.
Munie de cette "feuille de route" pour l'éternité,
la domina songerait à la béatitude éternelle
qu'elle connaîtra après sa mort.
Contemplant la
déesse Sémélé-Thyoné à laquelle elle s'identifie,
elle achèverait ainsi le cycle des activités rituelles
qui l'ont conduite du statut d'initiée à celui d'initiante et qui ouvre à sa
propre divinisation sur le modèle de ces héros
qui, comme Dionysos
et Sémélé ,
ont échappé aux Enfers pour rejoindre les Olympiens. |