Initiation dionysiaque ou initiation matrimoniale ?

 
© Photo Patricia Carles

On voit ici une jeune fille à genoux ; le visage caché dans le giron d'une matrone, elle tourne le dos au dévoilement du van et semble indifférente aux deux figures féminines que l'on voit à ses côtés : l'une, habillée d'un ample vêtement de couleur violette tient un thyrse, l'autre, presque nue, joue des cymbales, comme la ménade que l'on voit sur un sarcophage dionysiaque conservé au Louvre.

Selon Paul Veyne, il faut interpréter cette scène comme une polissonnerie mi-érotique mi-initiatique. De l'effroi de la jeune fille devant la défloration, le peintre aurait fait une scène plaisante : réfugiée dans les bras de sa nourrice, la mariée détourne les yeux d'un objet qu'elle désire peut-être en secret ; car les jeunes filles de bonne famille devaient faire mine d'ignorer la sexualité alors même que la mise en spectacle du phallus était omniprésente en Grèce et à Rome ; porté en procession au cours des "phallophories", le phallus était solennellement honoré et les personnages ithyphalliques s'exhibaient sans vergogne dans les jardins, dont ils assuraient la fécondité, sur les murs de la ville pour conjurer le mauvais oeil, aux portes des maisons pour éloigner les envieux et sur maints objets de la vie quotidienne : lampes à huile, poids, amulettes etc. ; il n'est pas jusqu'aux sarcophages qu'ils n'aient envahis de leur présence obsédante ! Mais les jeunes filles devaient se cacher les yeux quand elles rencontraient un Priape ou un satyre ithyphallique sur leur chemin. Même si quelque appréhension se mêle à sa pudeur, la jeune mariée témoignerait donc ici de sa bonne éducation et de sa pureté avant l'initiation nuptiale, la seule qu'ait véritablement évoquée le peintre à travers le lieu commun dionysiaque. Après les festivités du mariage, après les chants et les danses qu'évoquent ici les deux ménades, la porte des époux sera condamnée aux regards indiscrets par la démone ailée et la révélation du sexe aura lieu dans le secret de la chambre conjugale...

Malgré la quasi-nudité de la jeune fille agenouillée, où Paul Veyne croit trouver un argument de poids contre la thèse initiatique, Gilles Sauron persiste et signe : cette jeune femme est la Domina qui assiste, comme initiée au dévoilement du van ; et ce n'est là qu'un premier épisode de l'initiation qui se poursuit dans la scène suivante ; aux côtés de la jeune femme agenouillée, figurent en effet une ménade et une prêtresse de Dionysos dont le thyrse est privé du pampre, du lierre et de la bandelette habituels. Or la ménade et le thyrse incomplet font sens. Selon Pierre Boyancé, Sémélé était en effet considérée comme la première ménade car, enceinte de Dionysos, elle avait été la première femme à être au sens propre du terme "possédée" par le Dieu. Le rite auquel aurait participé la domina consistait à appliquer un thyrse incomplet sur le flanc de la myste et devait identifier celle-ci à Sémélé enceinte du Dieu de la "mania", de la folie sacrée.

La substitution de la ménade nue et dansant au son des cymbales à la représentation réaliste de la Domina fait de celle-ci, selon les conventions iconographiques du temps, une nouvelle Sémélé, dont elle assume, à son tour, la grossesse mystique et/ou charnelle avant de connaître son apothéose.

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